L’histoire de l’Afrique depuis les indépendances est jalonnée de relances ambitieuses de l’économie africaine, mais force est de constater qu’aucune d’entre elles n’a donné de résultat tangible. Sans doute, la volonté politique du G8 d’aider l’Afrique à sortir du piège de la pauvreté est-elle plus forte aujourd’hui qu’hier - encore que bien timide dans les domaines des subventions agricoles ou du réchauffement climatique, dont l’Afrique est la première victime. Cela suffira-t-il à faire la différence ? On voudrait le croire, mais le bilan de l’état actuel du continent oblige à la prudence.
Par Jean-Claude Berthélemy Professeur d’économie à l’Université de Paris 1
A l’heure où les « grands » plans pour l’Afrique redeviennent à la mode, il n’est pas inutile de faire le bilan du développement économique de la région. Les optimistes diront que ces dernières années de nombreux pays africains ont connu des performances encourageantes. Selon la Commission pour l’Afrique de Tony Blair, une vingtaine de pays ont enregistré une croissance de plus de 5 % en 2003. Mais il y a à cela des raisons conjoncturelles. La hausse des cours du pétrole et des métaux a stimulé la croissance des pays qui en sont exportateurs. Une relative stabilisation des cours agricoles a aussi joué un rôle, ceux du cacao s’étant même envolés en raison de la crise ivoirienne. De plus, 2003 a été une année de bonnes récoltes dans plusieurs zones, notamment dans la bande sahélienne. Enfin le rétablissement de la paix civile a permis un retour de la croissance dans nombre de pays, comme en République démocratique du Congo (RDC), à partir il est vrai d’un niveau dramatiquement bas. Mais parallèlement, la hausse des prix du pétrole appauvrit les pays importateurs ; l’année 2003 a été suivie par des récoltes catastrophiques en 2004 dans le Sahel, en raison de la sécheresse et de l’invasion des criquets ; d’autres crises et guerres civiles (Côte d’Ivoire, Soudan) se prolongent.
Le nombre de « locomotives » qui pourraient tirer la croissance est limité
En fait, au cours de pratiquement chacune des dix dernières années, y compris en 2004 et 2005, bon nombre de pays africains ont connu une croissance rapide. Mais, chaque année, ce sont des pays différents qui semblent s’en sortir, à peu d’exceptions près. En conséquence, seule une dizaine de pays, totalisant 100 millions d’habitants, ont maintenu pendant dix ans de bonnes performances économiques, et une douzaine (250 millions d’habitants) ont quant à eux régressé. Parmi ceux qui s’en sont bien sortis ces dix dernières années, on trouve des pays tirés par le pétrole (Angola, Guinée Equatoriale, Soudan), des pays de trop petite taille pour pouvoir changer la donne dans leurs régions respectives (Bénin, Botswana, Cap Vert, Rwanda), plus le Mali, le Mozambique et l’Ouganda. Ainsi, le nombre de « locomotives » qui pourraient tirer la croissance est-il limité. Aucun des grands pays que sont l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Egypte, l’Ethiopie, le Kenya, le Maroc, le Nigeria, la RDC et la Tanzanie n’a eu pour l’instant le ressort suffisant pour jouer ce rôle. Il n’est dès lors pas étonnant que l’Afrique reste à la traîne dans la poursuite des Objectifs du millénaire pour le développement. Dans un récent rapport, la Banque africaine de développement (BAD) indique que, pour l’objectif de réduction de l’extrême pauvreté et de la faim, un tiers des pays est en net retard sur les objectifs, et un autre tiers est même en nette régression. Dans le domaine de l’éducation et de la santé, les perspectives sont tout aussi peu encourageantes. Et encore cette appréciation est-elle exagérément optimiste : là où apparaît un retard de moitié par rapport aux objectifs, celui-ci est considéré par la BAD comme « léger ». De fait, l’actualité africaine est jalonnée de nouveaux drames humains tels que famines ou épidémies, qui sont autant de résultats directement imputables à l’échec du développement économique.
Vers un partenariat public-privé ?
Certes, si l’on regarde un peu plus de dix ans en arrière, des progrès relatifs ont été enregistrés, grâce aux réformes économiques, à l’amélioration de la gouvernance et, plus récemment, au renouveau de l’aide au développement. Mais les réformes avancent à pas comptés. Par exemple, si les privatisations d’entreprises du secteur concurrentiel ont été menées à bien dans beaucoup de pays, la réforme des services publics tels que ceux de l’eau, de l’électricité ou des télécommunications est lente, quand elle ne va pas à reculons. La réforme et la relance des secteurs sociaux de l’éducation et de la santé, stratégiques pour la lutte contre la pauvreté, restent également insuffisantes un peu partout.
Il est tentant de répondre que la réalisation de ces ambitions ne peut se faire sans financements nouveaux. Mais on constate que, quand les fonds commencent à être disponibles, leur utilisation bute, dans la majorité des pays, sur une insuffisante capacité d’élaboration des stratégies et de mise en œuvre des projets par les pouvoirs publics. Sans doute est-ce en partie le résultat de deux décennies perdues (de 1980 à 1999), pendant lesquelles les capacités se sont étiolées. Mais il faut aussi reconnaître que le secteur public seul, même avec davantage d’aide financière extérieure, ne peut pas faire face aux défis du développement en Afrique.
Des signes encourageants naissent de l’initiative privée, que celle-ci vienne d’entreprises ou d’organisations de la société civile. Encore faut-il parvenir à établir un véritable partenariat public-privé, qui ne peut se développer que dans un contexte de bonne gouvernance. Même si, grâce à une tendance à la démocratisation, des progrès ont été accomplis dans ce domaine, beaucoup reste à faire. Il s’agit de sujets sur lesquels les pays développés peuvent susciter des avancées substantielles, comme l’a montré le processus de Kimberley visant à moraliser le marché international du diamant ou l’Initiative de transparence dans les industries extractives, lancée par Tony Blair en 2003, et à laquelle ont adhéré plusieurs pays africains. Des initiatives africaines, comme le processus de revue par les pairs du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), peuvent aussi y contribuer.
Jean-Claude Berthélemy
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